Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1867-06-18)

Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Grev Frijs.
Paris, 18 juin 1867.

Monsieur le Comte,

Ainsi que me l’avait enjoint Votre Excellence j’avais fait parvenir à M. de Moustier en même temps qu’au prince Gortschakow, copie de la dépêche de M. de Bismark du 23 mai & de celle qui y répond adressée par Votre Excellence à M. de Quaade en date du 1 juin; j’avais depuis cherché à plusieurs reprises d’entretenir M. le Ministre des Affaires étrangères au sujet des documents que je lui avais communiqués, mais ce n’est qu’hier que j’ai réussi à lui en parler.

Monsieur de Moustier m’ayant dit qu’il avait pris connaissance des pièces que je lui avais transmises, j’exprimai l’espoir qu’il appréciait la modération dont le gouvernement du Roi s’était appliqué à faire preuve en répondant à M. de Bismark. — Assurément — répliqua M. de Moustier — et je ne puis qu’approuver la ligne de conduite que votre gouvernement s’est tracée et dans laquelle il persévère. Il lui est évidemment impossible de donner les garanties internationales dont la Prusse semble vouloir faire dépendre l’exécution de l’article V du traité de Prague; d’autre part il aurait tort de couper court aux négociations, ce qui lui donnerait l’apparence d’y apporter du mauvais vouloir. Il est, au contraire, à désirer que le gouvernement danois agisse de s. 482manière à ce qu’il soit bien constaté qu’une rupture éventuelle des négociations ne saurait être attribuée qu’aux exigences de la Prusse, pour laquelle, soyez-en sûr, ce sera toujours un embarras de n’avoir rempli en aucune mesure les obligations qu’elle a contractées à l’égard du Slesvig du Nord.

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Je n’ai pas omis de mentionner devant M. de Moustier l’espoir qu’à la première occasion opportune, le gouvernement impérial soutiendra notre cause. — Nous savons, lui dis-je, que vous ne pouvez pour le moment, nous prêter un appui très actif, mais nous espérons que dès que les circonstances seront plus favorables, vous soutiendrez une cause dont la France a toujours reconnu la justice et pour laquelle elle a sans cesse témoigné des sympathies. — »N’en doutez pas, me répondit M. de Moustier, vous pouvez en être certain. Présentement, une pression de notre part n’aurait, à mon avis, pas de résultat utile. Elle irriterait la Prusse, et malgré l’avis contraire que vous exprimez, je crois avoir le droit d’espérer encore que le cabinet de Berlin renoncera à maintenir les exigences qu’il a posées vis-à-vis du Danemark pour la restitution partielle du Slesvig du Nord.« Je répondis qu’à mon grand regret, je ne pouvais partager cette espérance et j’ajoutai que j’avais retiré d’un entretien que j’avais eu avec le prince Gortshakow l’impression que ce ministre ne croyait guère non plus à une solution heureuse de la question. »Ce que vous me dites m’intéresse, me dit alors M. de Moustier; il est vrai que j’ai fort peu parlé au prince Gortshakow de la question spéciale du Slesvig du Nord, mais si j’avais cru qu’il regardait le maintien des exigences prussiennes vis-à-vis du Danemark comme probable, je me serais étendu plus sur cette affaire. — D’ailleurs, ajouta le ministre, j’écrirai peut-être encore prochainement à Londres & à Pétersbourg sur la question afin de voir s’il serait possible d’agir par voie indirecte sur le cabinet de Berlin; s. 483en tous cas, ayez patience et soyez certain que nous ne perdons pas la question de vue.« —

Avant que je ne le quitte, M. de Moustier me parla de la nouvelle donnée il y a quelque temps, par le télégraphe de la possibilité d’un changement de ministère à Copenhague, ayant pour conséquence l’arrivée au pouvoir du Cte Sponneck qui serait porté pour l’idée d’une union intime entre le Danemark et la Confédération de l’Allemagne du Nord. »J’ai entretenu le prince Gortshakow de ce fait, me dit le ministre, et c’est avec satisfaction que j’ai constaté qu’il partage ma manière de voir sur l’importance d’une pareille éventualité. Une absorption, soit directe soit indirecte, du Danemark par la Prusse serait également contraire aux intérêts de la Russie et à ceux de la France; aussi ne pourrions nous envisager un fait de cette nature avec indifférence.« — »Cette appréciation de votre part me paraît naturelle, répondis-je à M. de Moustier; mais je ne crois pas à l’authenticité de la nouvelle apportée ici. — En regard des sentiments de la majorité de la population danoise, il me paraît même difficile qu’un ministère quelconque puisse, du moins présentement, faire accepter par le pays le programme d’une union intime avec la Prusse.« En m’énonçant ainsi vis-à-vis de M. de Moustier, j’ajoutai qu’il ne fallait toutefois pas se dissimuler que la Prusse devant nécessairement, surtout comme puissance maritime, devenir plus forte d’année en année, on aurait en Danemark de plus en plus conscience de sa propre faiblesse et de la nécessité de modifier sa ligne de conduite selon les exigences d’une situation nouvelle. — »Un seul fait — continuai-je, serait de nature à rendre au peuple danois la confiance dans l’avenir qui doit lui manquer quelquefois: ce fait, c’est la restitution au Danemark de tout ce qui est danois; il améliorerait sensiblement la situation matérielle du pays et il constituerait la preuve que la France et l’Europe attachent encore une importance réelle au maintien s. 484de l’existence du Danemark comme état souverain & indépendant.«

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L. Moltke-Hvitfeldt.

T. h. A. J’ai omis de mentionner que M. de Moustier m’a dit ne pas avoir parlé spécialement de la question avec M. de Bismark.

u. i. 1.

L. Moltke-Hvitfeldt.

Depeche Nr. 35, modtaget 26. Juni 1867.