Rosenørn-Lehn, Otto Ditlev BREV TIL: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon FRA: Rosenørn-Lehn, Otto Ditlev (1870-08-13)

Udenrigsminister Baron Rosenørn-Lehn til Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i
Paris
.
Copenhague, 13 août 1870.

M. le Comte.

Les evénémens se précipitent tellement que la mission du duc de Cadore a déjà perdu tout son intérêt pratique. Néanmoins et ne fût-ce que pour mettre la postérité à même de juger, en toute connaissance de cause, cet incident politique, je regarde comme un devoir de consigner dans cette dépêche mes impressions et le récit exact de la conduite que le gouvt. du Roi a tenue dans une conjoncture qui aurait pu devenir d’une si grande importance pour le sort de notre patrie.

Dès que j’eus appris par vos dépêches que le gouvt. impérial avait chargé M. de Cadore d’aller faire des propositions ici, je ne pus m’empêcher d’éprouver une pénible surprise. On aurait dû comprendre à Paris qu’une pareille mission dans les circonstances actuelles attirerait infailliblement l’attention des cabinets et rendrait la position du gouvt. du Roi excessivement difficile. La négociation que le gouvt. imp. avait l’intention d’ouvrir avec nous exigeait le plus grand secret, car aux yeux du gouvt. français lui-même l’alliance proposée ne devait entrer en vigueur qu’au mos. 657ment où un corps de troupes de débarquement se trouverait ici. Les journaux français ne s’étaient déjà pas fait faute de proclamer l’intention du gouvt. imp. d’opérer une descente sur les côtes de la Baltique avec l’assistance du Danemark, et l’envoi du duc de Cadore ne permettait plus à personne de douter de l’exactitude de cette nouvelle. En effet le cabinet de St. Pétersbourg ne tarda pas à exercer la plus grande pression morale ici pour nous amener à repousser les propositions que M. de Cadore était chargé de nous faire, et en même temps il fit proposer à Londres que les deux gouvernemens feraient une démarche collective à Paris pour déclarer que dans le cas où la France entraînerait le Danemark à sortir de sa neutralité, ils trouveraient »les plus grandes difficultés à maintenir la stricte neutralité, qu’ils désiraient garder pendant cette guerre.«

Le duc de Cadore était déjà en route et il m’était par conséquent devenu impossible de tâcher d’empêcher sa mission. Mais je pouvais encore espérer d’obtenir que son séjour ici fût d’aussi courte durée que possible et je vous telegraphiai dans ce sens le 31 juillet.

Le 1. août le duc arriva ici. Une première et très courte entrevue que j’eus avec lui le même jour ne fit qu’augmenter mon étonnement du peu de réflexion qui avait guidé le gouvt. français dans cette occasion. D’un côté il n’était muni d’aucune lettre de créance ou autographe de l’Empereur, et lorsque j’ai suggéré au duc de présenter ses hommages au Roi, il a accueilli cette idée d’une manière qui m’a empêché d’y donner suite. Ainsi le duc de Cadore n’a pas eu l’honneur d’être reçu par S. M. De l’autre côté ma conversation avec lui m’a pleinement confirmé dans la pensée, qu’il n’y avait aucune raison particulière pour enlever cette négociation à M. de St. Ferriol qui par ses qualités personnelles était parfaitement à même de faire aboutir l’affaire, en supposant que le moment de la conclure fût venu.

Le duc m’avait dit qu’il était autorisé à nous faire des propositionss. 658importantes. Je n’ai pas tardé à faire mon rapport au Roi sur cette ouverture. Pour ne pas augmenter les soupçons que les cabinets avaient déjà conçus au sujet des intentions du gouvt. du Roi et pour user en même temps des procédés les plus courtois vis-à-vis du gouvt. de l’Empereur, j’ai proposé au Roi, qu’un autre que moi fût chargé de recevoir les propositions que le gouvt. français voulait nous faire par l’organe de M. de Cadore, et je me suis permis de nommer à cette fin M. le comte Frijs. Vis-à-vis de l’Europe qui depuis cinq ans connaît la politique sage et circonspecte de l’ancien ministre des Aff. étr., le comte Frijs offrait toutes les garanties possibles, et quand S. M. faisait choix du premier personnage non officiel du pays pour entrer en pourparlers avec le duc de Cadore, j’estimais que le gouvt. français ne pourrait y voir qu’un témoignage manifeste de la haute considération du Roi.

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Les pleins-pouvoirs que reçut le comte Frijs l’autorisaient à prendre connaissance des communications que M. de Cadore était chargé de faire ici, et à m’adresser à ce sujet un rapport qui devait être ensuite soumis au Roi. La tâche du comte Frijs se bornait ainsi, du moins jusqu’à nouvel ordre, à écouter, et il lui était expressément enjoint d’éviter dans ses paroles tout ce qui pourrait ressembler à une promesse ou à une disposition quelconque à conclure dans les circonstances actuelles un traité d’alliance avec la France, tandis que de l’autre côté il ne devait pas cacher les sympathies, que nous éprouvons pour la cause française et qui dans un moment opportun pourraient revêtir un caractère plus actif.

Dans les entretiens que le comte Frijs eut avec M. de Cadore et qu’il conduisit avec son tact et sa prudence habituelle, l’envoyé de l’Empereur déclara qu’un corps de troupes de débarquement se trouverait ici au plus tard le 20 août avec destination de faire une descente à l’île d’Als ou dans le Nordslesvig, et que si le Danemark voulait conclure unes. 659alliance offensive et défensive avec la France, cette puissance lui assurerait à la paix la possession tranquille du Slesvig. Je passe sous silence quelques détails de moindre importance.

La décision du gouvt. du Roi était prise mais la réponse à donner à M. de Cadore n’était pas encore arrêtée lorsque les nouvelles des batailles de Forbach et de Wörth arrivérent ici. Elles ne pouvaient rien changer à la réalité de la réponse mais les égards dûs à un grand malheur imposaient au gouvt. du Roi l’obligation de choisir avec la plus grande circonspection les termes dans lesquels cette réponse serait donnée.

Le 10 août j’ai invité M. de Cadore à se rendre au ministère et dans cette dernière entrevue avec lui, après lui avoir exprimé les vives sympathies que tous les Danois, depuis le premier jusqu’au dernier, éprouvent pour la cause française, je lui ai donné la réponse verbale suivante:

»Le gouvt. du Roi reconnaît pleinement les dispositions amicales dont le gouvt. de l’Empereur s’est inspiré, lorsque dans le temps il a fait stipuler dans le traité de Prague que le Slesvig septentrional serait rendu au Danem. et dont il vient de donner un nouveau et précieux témoignage en offrant son concours armé au Danemark afin de reprendre la frontière dont la possession est si importante pour l’avenir et la sécurité de la nation danoise. Le gouvt. du Roi ne discutera pas pour le moment les offres que vous lui avez faites au nom du gouvt. français, attendu qu’elles reposent sur une supposition dont les événemens imprévus, survenus en dernier lieu, quelque passagers qu’il faille espérer qu’ils seront, ne manqueront pourtant pas de différer la réalisation à une époque encore indéterminable. Le gouvt. du Roi croit que dans cet état de choses le gouvt. impérial lui-même jugera le moment peu opportun pour engager le Danemark à s’exposer aux dangers redoutables qu’une combinaison de la nature indiquée ne tarderait pas à appeler sur lui.«s. 660Je n’ai pas besoin de faire ressortir les points essentiels de cette réponse. On s’y contente de prendre la réserve nécessaire au sujet du contenu des propositions, qui avaient en effet besoin d’être discutées, en supposant que l’affaire eût été mûre pour la discussion. Elle oppose une fin de nonrecevoir à la proposition d’une alliance mais indirectement en posant la question préalable, en d’autres termes: le projet français partait de cette supposition, qu’un corps de troupes de débarquement se trouverait dans la Baltique le 20 août au plus tard, et c’est en se basant sur cette donnée, qu’on nous demandait de prêter notre concours aux armes françaises. Or nous constatons dans notre réponse qu’il ne sera pas possible au gouvt. français de réaliser bientôt cette condition préliminaire. De la sorte la réponse arrive à suggérer cette conclusion que le gouvt. imp. lui-même doit nécessairement regarder ses propositions comme étant retirées ou du moins mises en suspens par le fait même des événemens.

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Cette réponse qui ne compromet rien a été accueillie par le duc avec satisfaction. Il a reconnu que le gouvt. ne pouvait agir autrement et il apprécie les ménagemens que le gouvt. du Roi à observés, quant à la forme.

Le duc est parti hier, se rendant en Angleterre. —

Ces informations sont naturellement destinées pour votre information personnelle. Seulement je vous autorise à rectifier dans vos conversations avec le Ministre des Aff. étr. les inexactitudes qui pourraient se glisser dans le compterendu que M. de Cadore présentera sur notre réponse et qui seraient d’autant plus naturelles qu’elle fut donnée verbalement, à cause du désir que j’ai de ne rien donner par écrit dans cette affaire délicate.

Koncept med P. Vedels Haand til Depeche Nr. 21.