Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1866-05-02)

Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Grev Frijs.
Lettre confidentielle.
Paris, 2 mai 1866.

Monsieur le Comte,

Je profite d’une occasion süre pour adresser à Votre Excellence ces lignes.

Samedi dernier le 28 mai, 1) j’ai vu M. Drouyn de Lhuys, auquel j’ai fait part du contenu de la dépêche télégraphique que m’avait adressée Votre Excellence le 25, et qui m’était parvenue le 26. 2) J’ai dit à M. le Ministre des Affaires étrangères, que M. de Bismark n’avait pas repoussé les propositions que M. de Plessen avait été chargé de lui faire, mais qu’en regard de la tournure plus pacifique que semblaient prendre les affaires, il croyait devoir en remettre la discussion ultérieure à un moment plus opportun. J’ajoutai que M. de Plessen devant se rendre à Petersbourg pour y complimenter l’Empereur et l'Impératrice à l’occasion de l’anniversaire de leur marriage, aurait, s’il y aurait lieu, à se mettre de nouveau en rapport avec M. de Bismark à son retour à Berlin.

M. Drouyn de Lhuys me donna alors lecture d’une lettre confidentielle que M. Dotézac avait confiée aux soins de M. de Bille, et dans laquelle M. le Ministre de France à Copenhague disait qu’il avait appris de Votre Excellence que M. de Plessen savait que le Danemark faisait des démarches à Berlin à la suggestion de la France. M. Drouyn de Lhuys fit l’observation qu’il n’était point exact, que le gouvernement impérial eût suggéré au gouvernement danois une politique sympathique à la Prusse. »Suggérer« — me dit le Ministre, veut dire: prendre l’initiative d’un conseil, et vous savez mieux que personne que c’est vous qui vous êtes adressé à moi en me demandant un avis, et non pas moi qui, le premier, s. 157vous ai donné un conseil; d’ailleurs ce n’est pas depuis ces derniers tems qu’il a été question d’une tentative d’arrangement entre le Danemark et la Prusse en prévision de la solution de la question des duchés, et je sais que des pourparlers clandestins ont depuis long tems eu lieu a ce sujet à Berlin. — Le gouvernement impérial désire assurément, — continua M. Drouyn de Lhuys, — que le Danemark récupère la partie danoise du Slesvig, mais il ne saurait engager sa responsabilité dans la question.«

Je répondis à M. Drouyn de Lhuys, que M. Dotézac n’avait pu se servir en cette circonstance du mot »suggestion« que par erreur; — que Votre Excellence connaissait dans tous les détails la conversation que j’avais eue, il y a bientôt trois semaines, en premier lieu avec M. de Chaudordy, et ensuite avec le Ministre lui-même; que par conséquent Votre Excellence n’ignorait pas que c’était moi qui avais pris l’initiative de l’entretien en question; — quant aux pourparlers clandestins qui auraient eu lieu depuis longtems à Berlin, je fis remarquer à M. Drouyn de Lhuys, que le gouvernement du Roi y avait été complètement étranger, et que Votre Excellence n’avait voulu entamer aucun rapport avec des personnes dont le caractère ne pouvait lui inspirer de la confiance. M. le Ministre m’ayant dit alors qu’il en écrirait à M. Dotézac je lui répondis que, de mon côté, je ne manquerai pas de faire parvenir les observations qu’il venait de faire, à la connaissance de Votre Excellence.

C’est en rentrant du ministère des Affaires étrangères que je vous adressai, M. le Comte, ainsi qu’à M. de Quaade, un télégramme portant qu’il était de la dernière importance que la part qu’a prise le gouvernement impérial à nos dernières résolutions ne fut connue ni à Pétersbourg, ni ailleurs. 1) En effet, quoique M. Drouyn de Lhuys ne fit aucune observation directe concernant la désignation de M. de Plessen comme porteur de nos propositions à M. de Bismark, je pus s. 158facilement remarquer que le choix l’avait étonné. J’ai cru voir qu’il craignait que M. de Plessen ne fût chargé de s’assurer pendant son séjour à Pétersbourg de la sympathie du cabinet russe à propos de la mission qui lui avait été confiée auprès de M. de Bismark. Sachant d’autre part que les rapports entre la Russie et la France ne sont, en ce moment, rien moins qu’intimes, la Russie désirant vivement le maintien de la paix, et soupçonnant la France d’agir dans le sens contraire, j’ai voulu, sans délai, appeler l’attention de Votre Excellence sur la sérieuse importance existant pour nous à ce que le cabinet de Pétersbourg ignore complètement les indications qui nous ont été données en dernier lieu par M. Drouyn de Lhuys. La connaissance la plus légère qu’aurait, soit l’Empereur Alexandre, soit le prince Gortschakoff, d’un fait qui indique si clairement l’attitude de la France vis-à-vis de la situation générale de l’Europe, pourrait facilement donner lieu à une démarche ou demande d’explications ici à Paris, et je n’ai pas besoin de m’appesantir sur l’influence qu’exercerait une telle circonstance sur les dispositions de l’Empereur et de son gouvernement à notre égard.

Avant-hier j’ai eu avec M. de Chaudordy un entretien à la suite duquel j’ai été, jusqu’à un certain point, rassuré à l’égard des craintes que j’avais attribuées à M. Drouyn de Lhuys, et dont je viens de faire mention. C’est après cette conversation que j’ai eu l’honneur de mander à Votre Excellence par voie télégraphique 1) que l’on considérait ici l’ouverture des hostilités comme imminente. Cette opinion est en effet encore générale, et, au bal qui a eu lieu avant-hier soir aux Tuileries, bien des personnes du monde politique admettaient la possibilité de l’entrée de l’armée prussienne en Saxe dans les 24 heures. La situation est tellement tendue qu’il semble impossible que la guerre n’éclate pas, et l’on peut même aller jusqu’à dire qu’elle est presque une nécessité pour les trois puissances qui se trouvent en présence.

s. 159L’état des finances de l’Autriche ne lui permet pas de supporter indéfiniment les immenses charges que lui impose un état de choses aussi menaçant; la Prusse ne peut parvenir à ses fins que par la violence et quant à l’Italie, M. Nigra me disait, il y a quelques jours à peine, que mieux valait pour elle une guerre malheureuse que la situation présente. »Si nous sommes battus,« me disait M. le Ministre d’Italie, nous serons forcés de renoncer pour de longues années à nos desseins sur la Vénétie; nous pouvons alors opérer sur une large échelle un désarmement, au moyen duquel nous rétablirions nos finances. Il serait impossible, avant d’avoir donné satisfaction aux exigences du parti d’action, d’entrer dans la voie de réformes économiques.

L. Moltke-Hvitfeldt.

Modtaget 5. Maj 1866.