Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind BREV TIL: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon FRA: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind (1866-06-05)

Udenrigsminister Grev Frijs til Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i
Paris
.
Confidentiel.
Copenhaque, 5 juin 1866.

M. le Comte.

Lorsque vers la fin de 1863 l’Empereur Napoléon convia l’Europe à se réunir en un congrès général pour rechercher les moyens de conjurer les dangers que prévoyait sa haute sagesse, le gouvernement danois fut parmi les premiers à suivre avec empressement l’impulsion de cette noble initiative; et quand plus tard de nombreux malheurs qui eussent pu être évités par le congrès, se déchainèrent sur l’Europe, nous fûmes aussi les premiers à souffrir sous les conséquences de la résistance qu’avait rencontrée la pensée de l’Empereur de la part de certaines puissances.

s. 188Il serait difficile de revenir sur ce passé, le gouvernement du Roi le reconnaît; mais il sera peut-être temps encore d’en modifier les conséquences les plus funestes au moins, et c’est dans cet espoir que nous saluons avec confiance la nouvelle perspective d’une conférence à laquelle l’Angleterre et la Russie se sont cette fois associées.

La question des duchés, qui à son début avait paru relativement peu considérable, s’est déjà montrée féconde en dangers et elle réserve à l’avenir de nombreuses complications, si une politique européenne juste et mieux éclairée ne se charge de lui donner une solution ayant pour effet de réparer, jusqu’à un certain point au moins, les injustices commises.

La seule question préalable, de savoir à qui ces territoires appartiendront en définitive, a suffi pour appeler la moitié de l’Europe sous les armes, parce que toutes les questions brûlantes sont venues se grouper autour d’elle comme autour d’un noyau commun. Mais quelles seraient les conséquences d’un état de choses qui permettrait à une grande puissance militaire de disposer librement des riches ressources de la totalité de ces territoires et de tirer parti de leur position géographique, si admirable au point de vue commercial et stratégique? La France elle-même ne ressentirait-elle pas les effets d’un changement à la suite duquel le Danemark cesserait d’exercer toute influence sur l’équilibre dans la Baltique? Dans la supposition que l’Allemagne restera en possession non seulement des grands établissemens maritimes qu’elle aspire à créer à Kiel, mais aussi des forteresses de Dybbel et de l’île d’Als, notre indépendance sera devenue complètement illusoire. Des flottes pourraient fermer la Baltique et menacer bientôt la Suède et la Norvège d’un sort pareil au nôtre. Sur cette nouvelle base il pourrait se former dans le Nord une coalition plus redoutable pour le reste de l’Europe qu’aucune autre combinaison politique dont l’histoire fasse mention.

s. 189Mais il y a une autre considération sur laquelle je voudrais appeler l’attention et qui, bien moins importante en apparence, ne manquera pas, j’en suis convaincu, d’intéresser vivement le gouvernement de l’Empereur. Je veux parler de l’injustice qu’il y aura à permettre qu’une population que de vives sympathies nationales non moins que les intérêts matériels rattachent par mille liens au Danemark, demeure violemment séparée de la mère-patrie. Je n’exagère pas en disant que cette population prévoit sa perte morale et matérielle sous un régime qui lui répugne. L’Allemagne elle-même ne se fait certes plus illusion sur le résultat que produirait une votation libre des populations des régions moyennes du Slesvig jusqu’au delà de Flensbourg, capitale naturelle de la partie septentrionale du Slesvig. Si ces populations et ces districts ne font pas retour au Danemark, la manière dont on a disposé des duchés, restera toujours une immense injustice dans l’histoire de nos jours; car la solution de cette question n’aura tenu compte d’aucun principe, soit ancien soit moderne. Et d’autre part la rétrocession au Danemark de quelques centaines de mille d’habitans et de quelques lieues carrées ne pourrait pas, même aux yeux de l’Allemagne, constituer une perte notable pour ce pays, tandisque pour l’équilibre des forces en Europe elle prendrait une grande importance politique, et que pour le Danemark elle réaliserait une des conditions indispensables à son existence indépendante.

Plus que toutes les autres puissances la France a senti l’injustice et la dureté de la situation faite au Danemark, et elle n’a pas cessé de nous témoigner un intérêt efficace dans nos malheurs. C’est donc surtout dans l’appui du gouvernement de l’Empereur que nous mettons notre confiance et notre espoir.

Telles sont, M. le Comte, les considérations dont je vous prie de vous inspirer dans la conversation que vous aurez avec Son Excellence le Ministre des Affaires étrangères de s. 190l’Empereur au sujet de la dépêche que je vous ai adressée aujourd’hui.

Koncept med P. Vedels Haand til Depeche Nr. 12. — Trykt i Uddrag i Jessen: L’intervention de la France dans la question du Slesvig du Nord (1919) S. 120—122. — I Randen staar: Afskrift til Kongen.