Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1867-07-05)

Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Grev Frijs.
Confidentielle.
Paris, 5 juillet 1867.

Monsieur le Comte,

Conformément aux instructions renfermées dans la dépêche télégraphique que Votre Excellence me fit l’honneur de m’adresser en date du 21 juin dr., je m’empressai de transmettre à M. le Ministre des Affaires étrangères le texte de la dépêche de monsieur de Heydebrand du 18 en le priant de vouloir bien m’accorder une entrevue afin que je puisse l’entretenir sur ce sujet. — Monsieur de Moustier ayant été très occupé ces derniers tems, ce n’est toutefois que hier que j’ai pu le voir et je me fais un devoir de transmettre aujourd’hui à Votre Excellence un résumé aussi exact que possible de notre conversation.

Ayant rappelé à M. le Ministre des Affaires étrangères la communication que je lui avais faite de la dépêche du Ministre de Prusse à Copenhague, dont les organes de la presse ont d’ailleurs reproduit le texte, je lui répétai ce que j’avais déjà eu l’occasion de lui dire quelques jours auparavant, savoir que le gouvernement du Roi attacherait un prix réel à connaître la manière de voir du gouvernement impérial au sujet de la phase actuelle de la question et nommément à l’égard de la réponse à faire au cabinet de Berlin.

Monsieur de Moustier commença par me dire qu’il avait reçu de source certaine des renseignements dont il me faisait part très confidentiellement sur le langage que tient monsieur de Bismark à ses agents diplomatiques en Allemagne. — Suivant ces renseignements monsieur de Bismark est non-seulement irrité, mais également étonné de la résistance qu’ont rencontrée à Copenhague ses ouvertures au sujet de l’éxécution des stipulations de l’article V du traité de Prague. — Le Ministre prussien attribue la fermeté dont le gouvernement danois fait preuve, à l’appui qu’il rencontre s. 514auprès du gouvernement français; il déclare qu’il a assurément des sentimens de déférence pour la France, mais que le cabinet de Berlin a seul le droit de décider de la solution de la question; qu’il ne peut la résoudre sans sauvegarder les intérêts allemands et que, par conséquent, la demande des garanties est juste et équitable. — Telle est, selon les données de M. de Moustier, le sens dans lequelle se prononce M. de Bismark, et je m’empresse d’ajouter que le Ministre de l’Empereur n’est pas mécontent du langage confidentiel tenu à Berlin. Il croit que l’irritation de M. de Bismark témoigne une certaine préoccupation, due à la crainte de voir rester ouverte une question pouvant lui créer des embarras sérieux dans l’avenir; aussi pense-t-il qu’il faut tenir compte de ces impressions. — Avant tout, monsieur de Moustier est d’avis que la réponse que le gouvernement du Roi adressera au cabinet de Berlin ne soit pas de nature à mettre fin aux négociations; il regarde notre situation actuelle comme étant fort mauvaise, et comme ne pouvant que gagner à ce que les choses traînent autant que possible en longueur. — Il croit que la réponse, empreinte d’une grande modération, ne devrait pas faire la moindre mention de la délimitation future et ne traiter que la question de garanties en faisant valoir tous les motifs qui rendent toute concession sur ce point inacceptable, à moins, toutefois, que la Prusse n’indique elle-même les moyens par lesquels les obligations de la nature de celles qu’elle exige, ne deviennent pas un jour le prétexte d’une ingérence étrangère dans les affaires intérieures du pays et un danger pour le maintien de bons rapports entre la Prusse et le Danemark.

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Après avoir remercié M. le Ministre des Affaires étrangères de ce qu’il venait de me communiquer, je lui demandai si, réellement, il abandonnait tout espoir de voir une rétrocession éventuelle comprendre — Duppöl et Als. — J’indiquai à monsieur de Moustier, ainsi que l’a fait Votre Excellence s. 515dans la dépêche du 26 juin, 1) que la véritable ligne de défense pour la Prusse vers le Nord est celle d’Eckernförde avec le port de Kiel, le canal de l’Eider avec l’île de Fehmern; que le seul avantage que cette puissance retire de la possession de Duppöl et de l’île d’Als ne peut être que celui d’avoir entre ses mains des positions stratégiques d’une haute importance pour le cas d’une agression contre le Danemark; je lui demandai enfin s’il ne pensait pas qu’un engagement éventuel de ne pas fortifier ces deux points, ou leur neutralisation, ne serait pas de nature à faciliter la seule solution qui aurait pour nous une importance politique réelle et qui seule satisferait réellement les populations danoises du Slesvig.

Monsieur de Moustier me répondit que l’idée de faire dépendre la rétrocession de Duppöl et d’Als de l’engagement que prendrait le Danemark de ne pas fortifier ces deux points, avait déjà été mise en avant sans amener aucun résultat, que celle de la neutralisation lui paraissait impossible à réaliser, les quelques habitants de Duppöl et d’Als ne pouvant évidemment défendre la neutralité de leur petit territoire. Ayant objecté au Ministre qu’il n’était guères probable non plus que les Luxembourgeois seraient à même de s’opposer à une invasion prussienne du grand-duché, il me répondit avec raison que la véritable défense de la neutralité du Luxembourg étaient les canons de Metz. — Il ajouta même que, pour le motif qu’il venait de m’indiquer, il aurait préféré à la solution intervenue dans la question du Luxembourg, l’annexion du grand-duché à la Belgique. — »Comment voulez-vous espérer, me dit encore M. de Moustier, que la Prusse vous rende Duppöl et Als, puisque la Russie vous abandonne sur ce point, ainsi qu’il résulte du langage que vous a tenu, ainsi qu’à moi, le prince Gortchakoff. Je l’ai dit encore ces derniers jours au prince de Galles s. 516avec lequel j’ai causé longuement de votre affaire, nous sommes forcés d’agir pour le moment avec une grande prudence vis-à-vis de la Prusse afin de ne pas avoir l’apparence de vouloir soulever de nouvelles difficultés et nous ne sommes pas à même d’exercer sur elle une influence décisive. Je veux bien croire que nous puissions obtenir du cabinet de Berlin, le cas échéant, qu’il vous rétrocède quelques milliers d’habitants danois de plus qu’il n’en aurait l’intention; peut-être même parviendrions nous à le faire céder sur la question des garanties, mais, quant à l’amener à la rétrocession de Duppöl et d’Als, c’est impossible. Pour atteindre ce but, il n’y a qu’un seul moyen, celui d’établir une entente entre les cabinets de Paris, Londres, Pétersbourg et Vienne et une action simultanée et identique de ces quatre cabinets vis-à-vis de celui de Berlin. Aussi je crois qu’afin de ne rien négliger, votre gouvernement devrait s’adresser à ces quatre cours en leur demandant leur appui en faveur d’une pleine et sincère exécution de l’article V du traité de Prague. Quant à nous, nous sommes prêts à soutenir une telle démarche de votre part, quoique l’insuccès soit presque certain en présence de l’attitude des cabinets anglais et russe. En effet, à Londres on nous dit ouvertement que la question des duchés a donné lieu à tant de difficultés que l’on ne croit plus devoir s’en mêler; à Pétersbourg on a pour la Prusse des complaisances incompréhensibles et que l’on ne peut expliquer que par la haine que le prince Gortchakoff a voué à l’Autriche et par les sentimens de déférence de l’Empereur Alexandre pour son oncle le Roi Guillaume. — Soyez-en bien assuré, poursuivit M. de Moustier, il n’y a qu’une entente entre les quatre cabinets qui puisse exercer une influence réelle sur celui de Berlin; c’est à une telle entente qu’est dû l’arrangement pacifique de l’affaire du Luxembourg, et la Prusse cherchera toujours à prévenir qu’un accord s’établisse entres. 517les autres grandes puissances, même dans les questions secondaires, dans la crainte que cet accord ne s’étende aux grandes questions et ne finisse par la placer dans l’isolement.« . . .

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L. Moltke-Hvitfeldt.