Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1870-01-11)

Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Grev Frijs.
Confidentiel.
Paris, 11 janvier 1870.

Monsieur le Comte,

Lorsque je me suis rendu, il y a quelque[s] jours, chez M. le comte Daru, pour lui présenter mes devoirs, j’ai eu avec ce Ministre un entretien dont je crois devoir donner connaissance à Votre Excellence. J’ai même retardé l’envoi de ce très-humble rapport uniquement parce que j’espérais pouvoir le faire parvenir à Votre Excellence par une occasion sûre qui ne s’est toutefois pas présentée jusqu’à présent.

Admis dans le cabinet de M. Daru, je lui ai exprimé tout le plaisir que j’éprouvais à entrer en relations avec lui et l’ai félicité de l’accueil exceptionnellement chaleureux et sympathique que le cabinet dont il faisait partie avait trouvé tants. 347dans le pays qu’au sein du corps législatif. 1) M. le Ministre me répondit qu’il était ainsique ses collègues excessivement heureux du sentiment unanime de satisfaction qui s’était manifesté à l’occasion de l’avènement au pouvoir du nouveau Ministère, mais qu’il ne fallait pas oublier qu’en France plus que dans tout autre pays, l’opinion varie facilement. La tâche que nous avons acceptée, ajouta le comte Daru, est difficile mais on sait que nous sommes d’honnêtes gens et que nous ne dévierons pas de notre programme. Nous désirons le maintien de la paix et de la concorde entre les gouvernements, nous le désirons d’autant plus qu’il se fait un travail révolutionnaire énergique quoique latent tant en France qu’en Italie et en Allemagne et qu’il serait inopportun d’ajouter à ces difficultés intérieures des embarras extérieurs. Et puisque j’ai le plaisir d’en causer avec vous, continua le Ministre, je vous dirai de suite que je reconnais qu’il a été commis ici, pendant ces dernières années, des fautes politiques profondément regrettables, mais que l’on ne saurait réparer du moins pour le moment. Nous sommes forcés d’accepter la situation telle qu’elle est, et je dois même ajouter pour votre information que je n’ai pas l’intention de chercher à obtenir, ainsi que l’a fait le général Fleury à St. Petersbourg, l’exécution de l’article V du traité de Prague. Le moment me paraîtrait mal choisi, et je crois que présentement le roi Guillaume aurait une très-grande difficulté à résoudre cette question à cause de l’impopularité qui se rattache à elle en Allemagne. Il faut attendre des circonstances plus favorables. D’ailleurs vous ne devez pas être fâchés que la Prusse garde cette épine au pied. 2)

Sans répondre directement à cette dernière question, je m’exprimai vis-à-vis du comte Daru dans le même sens dans lequel je m’étais exprimé, il n’y a pas long temps encore, aus. 348prince de La Tour d’Auvergne. Je lui dis que pour le Danemark la question du Slesvig du Nord était vitale, qu’en elle se concentraient toutes les aspirations et tous les désirs du pays, mais que pour répondre à nos voeux il fallait que la solution de cette question fût conforme à l’esprit dans lequel l’article V était conçu. »Nous ne pouvons souhaiter, ajoutaije, une solution incomplète, une solution qui ne nous rendrait qu’une partie du Slesvig danois, qui laisserait Als et Düppel, les points que nous avons si énergiquement défendus en 1864, sous la domination prussienne. Sous le rapport stratégique, ces deux points sont pour nous d’une importance immense, comme étant les deux seules positions sur le continent susceptibles d’être défendues. 1) D’autre part il n’y a pas de localité dans le duché de Slesvig où les sentiments des populations soient plus danois que dans le Sundeved et sur l’île d’Als.«

M. le comte Daru me dit alors qu’il avait dans le temps suivi cette question danoise avec le plus grand intérêt, et qu’il avait été tenu au courant des événements par M. Vessilier, alors chancelier de la légation de France à Copenhague. Il ajouta: 2) »Vous préférerez donc que l’article V du traité de Prague fût exécuté à ce que la Prusse conserve au pied cette épine, résultat de l’inexécution de l’article?« — »Assurément, répondis-je, non sans éprouver quelque étonnement de cette question, pourvu toutefois que l’exécution fût complète et telle que nous l’entendons.« — Pendant tout cet entretien, M. le comte Daru s’est exprimé dans des termes témoignant une sympathie réelle pour la cause danoise. Quant à la question qu’il m’a posée en dernier lieu et qui m’a surpris, attendu qu’elle ne pouvait amener de ma part d’autres réponses que celle que je lui fis, elle n’indiquait guères chez le Ministre des Affaires étrangères le désir des. 349voir la question du Slesvic du Nord résolue de si tôt, elle semble même indiquer le contraire dans un but qu’il n’est pas difficile de deviner. — Tout en m’empressant de faire connaître à Votre Excellence la manière dont s’est (exprimé) comte Daru, je crois toutefois devoir ajouter qu’il ne faut pas à mon avis ajouter une trop grande importance aux paroles en question. Ayant vécu pendant de longues années en dehors des affaires, habitué à manifester ouvertement ses pensées, même les moins réfléchies, comte Daru n’aura pas cru que je donnerais à ses paroles une portée qu’il ne leur accorderait très-probablement pas lui-même.

L. Moltke-Hvitfeldt.

Depeche Nr. 4, modtaget 15. Januar 1870.