Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Frijs, Christian Emil Krag-Juel-Vind FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1870-04-27)

Grev Moltke-Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Grev Frijs.
Paris, 27 avril 1870.

Monsieur le Comte,

Aussitôt après avoir reçu la dépêche que Votre Excellence a bien voulu m’adresser sub Nr. 5 en date du 16 du courant 1) et qui ne m’est parvenue que le 23, je me suis empressé de faire les démarches nécessaires afin d’entretenir M. le Ministre des Affaires étrangères par interim de la nouvelle mandée à Votre Excellence par M. de Falbe sur des propositions relatives à une solution de la question du Slesvig que le cabinet de Berlin semblerait vouloir soumettre au cabinet autrichien sans tenir aucun compte de la France.

Ce n’est qu’aujourd’hui que j’ai pu voir M. Emile Ollivier, et je ne veux pas tarder un instant à informer Votre Excellence que je me suis exprimé vis-à-vis du Ministre dans le sens indiqué dans Sa dépêche. Lui ayant demandé s’il avait quelque connaissance des bruits qui avaient couru sur des démarches s. 430faites par le cabinet de Berlin à Vienne, M. E. Ollivier me répondit qu’un des agents diplomatiques français en Allemagne en avait parlé comme d’une rumeur, dans sa correspondance, mais qu’il n’y ajoutait, en ce qui le concernait, aucune créance. —» Je ne vois rien«, me dit M. E. Ollivier, »qui m’indique pourquoi la Prusse soulèverait en ce moment la question du Slesvig, car en ce qui concerne le cabinet de Vienne, à moins de vouloir agir contrairement à tous ses intérêts, à moins de faillir à ses engagements vis-à-vis de nous et à moins d’user d’une duplicité qui me paraît inadmissible, l’Autriche ne saurait traiter la question du Slesvig en dehors de nous. Le fait me paraît donc impossible, et je puis si peu supposer que le prince de Metternich ne m’en eût pas parlé si vraiment le cabinet de Berlin avait fait des ouvertures à Vienne dans le sens indiqué, qu’une demande de ma part à l’Ambassadeur d’Autriche à ce sujet me paraîtrait un acte manquant de courtoisie«.

Ayant exprimé toute la satisfaction que je devais éprouver en entendant M. le Ministre des Affaires étrangères s’énoncer d’une façon aussi catégorique touchant la ligne de conduite que le cabinet de Vienne tiendrait, à son avis, si un jour la Prusse croyait devoir soulever la question du Slesvig du Nord, je manifestai en même temps l’espoir que cette affaire ne fût pas, le cas échéant, traitée en dehors de nous. »Le gouvernement danois«, dis-je au Ministre, »est le seul qui puisse exactement faire connaître quelles sont ses vues, ses voeux, ses aspirations dans une question qui pour le Danemark est d’un intérêt vital; aussi espère-t-il que si la Prusse voulait se concerter avec la France sur une solution de la question, ou chercherait à établir avec les puissances, et nommément avec la France et l’Autriche un accord sur les propositions qu’elle compterait nous faire, le gouvernement impérial ne prendrait pas d’engagement vis-à-vis du cabinet de Berlin avant d’avoir mis le gouvernement danois à même de faire connaître ses vues à l’égard des propositions prussiennes«.

s. 431— Le Ministre me donna à ce sujet les assurances les plus formelles, il affirma qu’il n’admettait pas que la question pût être traitée en dehors de nous et me promit même, au cas où il apprendrait quelque chose sur les soidisantes propositions faites par le cabinet prussien à Vienne, de me le faire savoir. Quant à donner à M. de Gramont qui, ainsi que M. Benedetti, doit arriver dans quelques jours à Paris — pour affaires particulières à ce que m’a dit M. E. Ollivier — des instructions afin d’engager le cabinet de Vienne à communiquer au cabinet français toute proposition ou ouverture qui pourrait à l’avenir être faite par la Prusse touchant l’affaire du nord du Slesvig, M. le Ministre des Affaires étrangères m’a dit que toute indication dans ce sens serait superflue en regard des rapports existant entre les deux cabinets.

Ayant ensuite causé avec le Ministre de la question danoise qu’il m’a dit avoir suivie avec la plus grande attention en 1863 et 1864, j’ai fait valoir les considérations qui parlent si fortement pour l’exécution de l’article 5 et que Votre Excellence a insérées dans la dernière dépêche qu’Elle m’a fait l’honneur de m’adresser. Après avoir rappelé que du haut de la tribune M. de Bismark avait reconnu que l’article 5 avait trouvé place dans le texte du traité de Prague sur la demande formelle et expresse de l’Empereur, après avoir mentionné que vis-à-vis du Danemark lui-même le ministre prussien avait officiellement reconnu l’engagement existant pour la Prusse de rétrocéder la partie septentrionale du Slesvig, je me suis appesanti sur ce fait que l’Europe tout entière a reconnu l’état de choses établi par le traité dont l’article 5 fait partie intégrante et que l’on pouvait se demander si, en ne réclamant pas contre l’inexécution de cet article, on ne s’aliénait pas le droit de s’opposer, le cas échéant, à des actes également contraires à l’esprit de ce même traité, à l’incorporation, par exemple, de l’Allemagne du Sud par la Prusse.

s. 432M. Emile Ollivier me répondit: »Cette question du traité de Prague est une bien grosse affaire et la position de la France à cet égard est des plus délicates. Le gouvernement de l’Empereur n’a en 1866 été que médiateur et n’ayant pas signé le traité, la Prusse et même les autres puissances allemandes lui dénient le droit de s’immiscer dans toute question réglée par le traité. Tout essai d’immixtion de notre part non seulement éveillerait les plus grandes susceptibilités de l’autre côté du Rhin, mais la Prusse en profiterait immédiatement pour porter un coup à la politique particulariste qui se manifeste à l’heure qu’il est dans l’Allemagne du Sud et qui est due en grande partie à la politique d’abstention et de réserve que nous avons suivie depuis quelque temps. — D’ailleurs nos rapports avec la Prusse ne sont pas de la même nature que ceux que nous avons avec d’autres puissances. Si notre opinion sur une question quelconque différait de celle de l’Angleterre ou de l’Autriche, nous pourrions discuter avec celle de ces puissances dont les vues seraient différentes des nôtres. Avec la Prusse au contraire, le jour où nous lui dirons qu’il faut que l’article 5 du traité de Prague soit exécuté, nous devons, absolument en présence de l’attitude prise jusqu’ici à Berlin dans cette question, avoir l’épée à la main et être prêts à aller jusqu’au bout. Le gouvernement impérial ne saurait s’exposer à un échec. D’autre part, je dois vous dire que les affaires intérieures de la France, la situation générale de l’Europe sont de nature à inspirer le désir de voir la paix maintenue.«

Tel est, Monsieur le Comte, bien exactement le résumé de la conversation que j’ai eue avec M. E. Ollivier, pendant laquelle j’ai pu constater que ce ministre est, plus que je ne l’aurais pensé, au fait de la question du Slesvig. Votre Excellence appréciera les paroles du Ministre des Affaires étrangères, d’où il ressort en première ligne, à mon avis, l’intention bien arrêtée de ne prendre aucune initiative dans la question qui nous concerne si directement. D’autre part, il s. 433est assurément important de constater que, dans l’opinion de M. E. Ollivier, l’Autriche ne saurait absolument isoler son action de celle de la France au cas où le cabinet de Berlin croirait devoir à l’égard de cette question sortir de la réserve qu’il semble s’être imposée jusqu’ici.

L. Moltke-Hvitfeldt.

Depeche Nr. 31, modtaget 2. Maj 1870.