Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon BREV TIL: Rosenørn-Lehn, Otto Ditlev FRA: Moltke-Hvitfeldt, Gebhard Léon (1875-05-14)

Grev Moltke Hvitfeldt, Gesandt i Paris, til Udenrigsminister Baron Rosenørn-Lehn.
Confidentielle.
Paris, 14 mai 1875.

Monsieur le Baron.

M. de Hegermann-Lindencrone, chargé d’affaires du Roi aux Etats Unis, . . . aura l’honneur de remettre å Votre Excellence ce très-humble rapport.

Je me suis rendu aujourd’hui au ministère des affaires s. 364étrangères pour féliciter le duc Decazes de ce que la situation ait pris un caractère absolument rassurant et permettant de n’avoir plus aucune inquiétude. Le duc Decazes qui me traite en ami, ainsi que Votre Excellence a pu le constater par la nature confidentielle des renseignements que j’ai été à même de lui donner a accueilli avec satisfaction mes félicitations et m’a donné lecture d’un rapport qu’il venait de recevoir hier de Berlin. 1) Dans cette lettre M. de Gontaut Biron rend compte d’une conversation qu’il venait d’avoir avec le prince Gortchakoff, et dans laquelle le chancelier a dit à l’ambassadeur de France que le prince de Bismarck lui avait donné les assurances les plus satisfaisantes. »Nous sommes dans les meilleurs rapports avec le gouvernement français, a dit M. de Bismarck au prince Gortchakoff; la situation militaire de la France n’a pas un caractère susceptible de nous inquiéter et de provoquer des réclamations de notre part. La difficulté de gouverner l’Allemagne est toutefois grande; mes forces n’y suffisent plus, et mon état de santé me met dans la nécessité de donner ma démission.« Pour prouver que cette intention était sérieuse M. de Bismarck a lu au prince Gortchakoff la lettre qu’il adressait à cet effet à l’Empereur. . . .

Ainsi que l’annonce ce matin le Journal des Débats, le prince Gortchakoff a adressé, quelques heures aprés le départ du Czar pour Ems une dépêche en blanc au prince Orloff 2) pour le lui annoncer en ajoutant que l’Empereur Alexandre quittait Berlin parfaitement convaincu du maintien de la paix. La situation est done à l’heure qu’il est assurée grâce à l’action commune de la Russie et de l’Angleterre. . . .

s. 365Avant de le quitter, le duc Decazes m’a entretenu, à titre confidential, d’un fait qui interessera directement le gouvernement du Roi. »J’ai à Berlin, m’a dit le Ministre, deux agents que je paye et qui n’ont naturellement aucun caractère officiel. Je suis porté à croire que l’un d’eux se charge de me mander ce que le prince de Bismarck désire que je sache. Cet agent m’a écrit le 8 de ce mois, au moment où M. de Bismarck sentait que l’attitude pleine de fermeté de l’Empereur Alexandre ne lui permettait pas de donner suite å ses projets, que le chancelier de l’Empire d’Allemagne hésite entre deux politiques; qu’il sent l’impossibilité de maintenir le status quo actuel, devant fatalement amener à un moment donné une nouvelle guerre entre l’Allemagne et la France dans laquelle les deux puissances se rencontreraient avec des forces à peu-près égales; qu’il fallait soit suivre l’idée du Feld-Maréchal de Moltke et attaquer la France, avant qu’elle ne soit devenue forte, soit amener un rapprochement réel et sérieux entre les deux pays. Selon M. de Bismarckce résultat ne pourrait être obtenu, écrit cet agent, qu’en tombant d’accord sur certains actes politiques d’un caractère très-important et de nature à prouver les intentions bienveillantes de l’Allemagne à l’égard de la France. Ainsi, on pourrait peut-être s’entendre, afin d’indemniser la France de la perte matérielle subie par la cession des provinces, sur un partage de la Belgique entre la France et les Pays Bas. On pourrait encore, afin de donner une satisfaction morale à la France, donner une solution å la question du Slesvig en restituant au Danemark une partie du duché /: l’agent ne mentionne pas laquelle :/ mais en neutralisant alors le Danemark afin qu’il ne puisse pas être une menace pour l’Allemagneen cas de guerre. Afin que ces divers points n’échappent pas à l’attention du duc Decazes, l’agent y est revenu dans ses lettres du 9 et du 10. —

En me communiquant ce fait curieux, le Duc Decazes m’a exprimé le désir de connaître l’opinion du gouv. du Roi s. 366pour le cas où la question du Slesvig serait abordée officiellement par le cabinet de Berlin. Le duc Decazes, qui naturellement se tient sur une réserve absolue, m’a prié de donner à Votre Excellence l’assurance qu’il n’agira jamais que dans un sens conforme aux voeux du gouvernement du Roi; il lui est d’ailleurs impossible jusqu’à présent de dire s’il faut attacher une importance réelle aux communications secrètes qu’il vient de recevoir. 1)

L. Moltke-Hvitfeldt.

Depeche Nr. 21. — Sml. Nr. 1198.